L’étude qui en dit long

Bilan carbone de la tournée de Coldplay : l’analyse de 3 experts 

Son dernier WorldTour achevé, le groupe britannique Coldplay a publié des données sur les réductions d’émissions carbone de sa tournée. S’il annonce une baisse de 59% d’émissions CO2 par rapport à sa tournée précédente, Coldplay a -t-il trouvé la bonne équation pour poursuivre ses méga shows ?

Par Laurence Rousseau, publié le 17/07/2024 à 17:34, mis à jour le 17/07/2024 à 17:34.

Bilan carbone de la tournée de Coldplay : l’analyse de 3 experts
© DR

Nous avons posé la question à 3 experts de l’événementiel bas carbone. 

Avec 6 mois de tournée effectuée en avion, 38 dates dans 11 pays, le bilan carbone de Music of Spheres, le dernier show du groupe Coldplay, peut-il prétendre à être écologiquement responsable et à donner l’exemple dans une industrie musicale qui cherche son futur modèle vertueux ? Le quatuor britannique a pris en tout cas la mesure de la nécessaire adaptation de ses lives au dérèglement climatique, notamment depuis 2021, date à laquelle le groupe a mis en place une douzaine de mesures (production d’énergie via des sols cinétiques ou des vélos électriques, installation solaire, etc.). Résultats, à l’issue de la dernière tournée du groupe : - 59 % d’émissions directes de CO2  par rapport à la tournée précédente (2016-17), sur une base show-by-show, en 2022 et 2023. Des chiffres validés par l’Environmental Solutions Initiative (ESI) du MIT, spécialisée dans les questions environnementales, et amplement repris par les médias généralistes. Alors, simple coup de com’ matiné de greenwashing ou bien efforts substantiels et bonnes idées à reprendre et à transposer dans d’autres univers ? On a posé la question à 3 spécialistes de l’impact carbone. 

Le mode de transport des spectateurs reste le nerf de la guerre 

Selon David Irle, éco-conseiller, associé au Bureau des Acclimatations, également co-auteur de l’ouvrage Décarboner la culture, on peut déjà saluer l’initiative de Coldplay qui s’inscrit dans l’action là où, dans l’industrie musicale, peu d’acteurs s'emparent véritablement du sujet. “ D’autant qu’on a souvent l’habitude de taper sur ceux qui font des choses, et pas du tout sur ceux qui ne font rien ! Leur exemple met en œuvre la question environnementale, y compris dans l’écosystème professionnel. Pour autant, si Coldplay semble engagé dans sa transition écologique, le groupe ne change rien au fond de son modèle, tant en termes économiques que de développement.” Il est vrai que ces tournées dans des stades pouvant accueillir des dizaines de milliers de spectateurs semblent contre intuitives. “La démarche de Coldplay peut donc tenir de la fausse promesse, on le voit bien dans leur stratégie RSE dont une très grande part repose sur la compensation carbone et le fait de planter des arbres. Or si tout le monde faisait comme eux, on aurait pas assez d’une planète pour tous les planter !” ajoute David Irle. 

Béatrice Eastham, fondatrice et directrice de Green Evénements et de Climeet, s’accorde également à saluer la démarche du groupe britannique. “C’est un sujet dont beaucoup d’acteurs culturels ou événementiels ont encore peur de parler, donc le travail pédagogique d’un groupe mondialement connu comme Coldplay ne peut qu’être salué. Reste néanmoins un gros point noir, celui de la non prise en compte des déplacements des spectateurs. Ils indiquent dans leur bilan que l’empreinte carbone moyenne par spectateur est inférieure de 48% à celle de leur tournée précédente, sans pour autant donner davantage d’éléments de mesure. Je ne sais pas comment cela peut être possible, le sujet du transport restant celui sur lequel il est le plus difficile d’agir.” Quant à la compensation carbone, sujet sensible notamment sur le marché français, la spécialiste salue le fait que cette dernière ne vienne qu’après tous les efforts de réduction des émissions. 

Ce pas de côté concernant l'impact carbone des déplacements du public dans le scope de calcul de l’impact de la tournée, sachant que ce public peut venir de très loin et donc en avion, reste en effet le nerf de la guerre. Selon les études, on constate en effet que seul 3 à 5% du public venant en avion, sur du moyen-courrier, suffisent à réduire à néant les autres efforts de limitation du CO2 d’un événement. 

On se souvient par exemple des 20% du public en provenance des USA lors du récent concert de Taylor Swift à Paris. “J’ai le cas d’amis qui voulaient voir Coldplay à Lyon, or il n’y avait rapidement plus de places. Ils sont donc allés les voir via un vol low-cost à Budapest alors qu’ils sont Lyonnais ! La stratégie de Coldplay de rester plus longtemps dans une ville et donc de faire moins de dates dans moins de villes n’est pas forcément opérante, si l’on tient compte des déplacements des publics.” 

 

Des initiatives intéressantes à saluer

Les efforts du groupe anglais pour réduire leur empreinte carbone ont néanmoins permis de mettre en lumière des initiatives intéressantes, comme celles de mutualiser le fret du matériel, d’éviter les avions charters, ou encore d’optimiser la fabrication et le recyclage des goodies, tels ces bracelets LED qui relèvent néanmoins d’une production polluante. Selon Xavier Parenteau, co-dirigeant du cabinet Ipama, spécialisé dans le conseil et la formation sur les sujets de la transition écologique et solidaire au sein des industries créatives, “ ces bracelets restent des objets électroniques non essentiels, produits à des centaines de milliers d’exemplaires. On pourrait donc s’en passer. Mais globalement, avec ce bilan carbone, Coldplay s’expose et fait une promesse auprès de ses publics, sponsors et partenaires. Pas question donc pour eux de faire du greenwashing car désormais cela ne passerait plus auprès de ses différentes communautés. A voir à moyen terme l’héritage de leur démarche dans les différentes filières des pays dans lesquels le groupe était en tournée. ” Le spécialiste regrette par ailleurs de ne pas avoir eu accès aux sources des chiffres émis par Coldplay, malgré une demande effectuée par mail. 

Reste que ces initiatives restent de l’ordre du symbolique et ne modifient pas fondamentalement l’impact CO2. A l’image de ces 3 000 tonnes de CO2 économisées en achetant du carburant d'aviation durable (SAF) pour les vols, “Une tournée telle que celle que vient de faire Coldplay doit représenter au global largement plus de 100 000 tonnes de CO2, donc 3 000 tonnes de moins c’est bien, mais on voit bien que nous ne sommes pas dans les bons ordres de grandeur” ajoute David Irle, qui conclut que, en bon élève malin, Coldplay donne à sa manière une réponse qui contourne les véritables efforts. 

Parmi les process à saluer, Béatrice Eastham souligne le fait de communiquer sur l’ensemble des partenaires et prestataires du groupe (DHL, Hope Solutions, MIT, Live Nation et Warner Music Group, etc.) ayant contribué aux efforts de réduction. “On peut juste regretter qu’ils ne soient pas plus clairs sur certains points, ou la mise en avant d’actions donc l’impact reste minime telles que l’utilisation du biocarburant.” De son côté, Xavier Parenteau salue la volonté de Coldplay de faire appel à des “green managers” sur chacun des lieux où ils se produisent. “J’adorerais qu’un groupe ayant une telle puissance que Coldplay finance et aide des groupes émergents pour qu’ils s’engagent dans cette voie-là. C’est une question d’héritage pour toute la filière musicale mais aussi au-delà.” ajoute-t-il. A ce sujet, le professeur John E. Fernandez du MIT prédit que “cette dernière analyse de l'impact de Coldplay sur l'environnement lors des tournées établit une nouvelle norme pour l'ensemble de l'industrie musicale. Les données et les méthodes d'analyse soutiennent la conclusion selon laquelle des progrès substantiels ont été réalisés pour réduire les émissions lors des tournées. »

Si nos spécialistes s’accordent donc à se féliciter de la démarche de Coldplay qui s’inscrit dans la bonne voie et délivre un message pédagogique envers le secteur de la musique et des spectateurs, ils se rejoignent également pour souligner que ces méga-tournées ne sont sans doute pas l’avenir des concerts et autres festivals. 

A quand donc l’adaptation du modèle pour que l’industrie musicale propose une manière différente, et plus vertueuse, pour interagir avec ses publics ? Elle commence à y travailler en tout cas. 

La tournée Music of the Spheres en quelques chiffres :

• 59 % d’émissions directes de CO2 vs tournée précédente

• 17 kWh de puissance moyenne par spectacle

• 7 millions d'arbres plantés

• 48 projets de plantation 

• 9 625 repas 

• 90 kg d'articles de toilette donnés

• 72 % des déchets envoyés en circuit de recyclage 

• 86 % des bracelets LED retournés et de réutilisés 

• 18 spectacles alimentés entièrement à l'aide du système de batterie f

• 23 partenariats avec des fournisseurs de voyages écologiques

• -33 % des impacts sur le fret

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