Entretiens

« Ma priorité est de maintenir un équilibre qui concilie protection du consommateur-citoyen et liberté d’entreprendre et de création »

5 mois après sa nomination à la présidence de l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), l'ancienne ministre Christine Albanel fait pour nous un point d'étape et nous expose sa vision. 

Par Pascale Baziller , publié le 25/03/2024 à 12:18, mis à jour le 27/03/2024 à 14:25.

Christine Albanel
© DR

Vous présidez l’ARPP depuis cinq mois, une instance dont vous avez inauguré le nouveau nom en 2008 lorsque vous étiez ministre de la Culture et de la Communication. En quoi les missions de l’ARPP sont essentielles et davantage encore avec la multiplication des canaux de communication ?

Les missions de l’ARPP sont importantes à plusieurs titres. Nous sommes en effet dans un monde foisonnant d’informations, de multiples canaux où tout contenu suscite aujourd’hui réactions et commentaires. L’ARPP, comme toute autorité de régulation, se trouve investie d’une mission d’attention et d’anticipation. Cette démarche est importante d’autant plus que nous sommes dans un système d’autorégulation, ce qui est une particularité peu inscrite dans notre culture générale française.

Ce n’est pas si fréquent que des professions dans leur diversité se regroupent, acceptent des règles de leur propre gré et financent un système d’autorégulation.

Ce n’est pas si fréquent que des professions dans leur diversité se regroupent, acceptent des règles de leur propre gré et financent un système d’autorégulation. De fait, elles vont au-devant de certains interdits de leur propre chef pour ne pas se voir imposer d’en-haut de nouvelles règles qui nuiraient à ce qui fait l’essence même de leur métier, l’imagination, la créativité. Ainsi, l’ARPP essaie de prouver constamment que l’autorégulation, ce que nous appelons le droit souple, est plus efficace, plus adaptable, que des règles trop administrées. Notre mission est de réguler, d’énoncer des recommandations et des règles déontologiques en étroite concertation avec la société civile. Comme celles relatives aux thématiques de l’environnement devenues centrales aujourd’hui.

Comment appréhendez-vous l’ARPP ? 

Après avoir assisté aux débats de l’ARPP à ses débuts, je l’ai retrouvée avec une grande richesse d’actions et d'interventions, notamment à travers ses trois instances associées qui sont des forces de frappe importantes. Tout d’abord, le Conseil de l'éthique publicitaire (CEP) présidé par Dominique Wolton (sociologue). C’est une instance de réflexion et d’anticipation qui participe et qui nourrit les débats sur les grands enjeux de la publicité. La deuxième instance est le Conseil paritaire de la publicité (CPP) présidé par une personnalité du monde associatif constitué de représentants professionnels et de représentants associatifs, qui reflète la société civile dans ses évolutions. Enfin, le Jury de déontologie publicitaire (JDP) dont les président(e)s sont des magistrat(e)s, instruit en toute indépendance une énorme quantité de plaintes émises à l’encontre de publicités, le plus souvent par des particuliers.

Quelles sont vos priorités ?

Ma priorité est de maintenir un équilibre qui concilie protection du consommateur-citoyen et liberté d’entreprendre et de création. Des événements récents ont montré que la société accepte un certain nombre de règles.

(...) il faut préserver certaines composantes de notre culture, la liberté, la possibilité de faire du second degré, ce que l’on appelle « l’esprit français ».

Néanmoins, je pense qu’il faut préserver certaines composantes de notre culture, la liberté, la possibilité de faire du second degré, ce que l’on appelle « l’esprit français ». Il ne faut pas aller trop loin dans le « corsetage » qui me paraît aujourd’hui une tentation, toujours pour de bonnes raisons, mais qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses. Par ailleurs, nous devons continuer à être présents sur les sujets qui montent en puissance comme l’influence commerciale. Dans ce cadre, l’ARPP a créé des outils au service des bonnes pratiques et de la transparence comme le Certificat de l’Influence Responsable (2021) ou l’Observatoire éponyme. Le nombre d’influenceurs progresse chaque année. 1 400 créateurs sont aujourd’hui certifiés et commettent moins d’1 % de manquements aux règles de transparence. Le sujet de l’intelligence artificielle est également un sujet qui suscite de nombreuses interrogations. Jusqu’où va la nécessité d’indiquer dans une publicité ce qui a été réalisé par des créatifs ou l’IA ? Il y a une attente vis-à-vis du Conseil de l’éthique publicitaire afin qu’il s’empare du sujet, ainsi que les membres de l’ARPP. Nous sommes également très attentifs à la proposition de loi anti-fast fashion (adoptée le 14 mars 2024 à l’Assemblée nationale) qui prévoit plusieurs mesures dont une interdiction de la publicité. Mais quelles sont les limites ? Comment établir précisément le périmètre et les critères de la fast-fashion ?

Comment allez-vous continuer à accompagner les professionnels ?

Cette maison commune qu’est l’ARPP offre beaucoup de possibles. Nous proposons des webinaires, des séminaires, des conférences… à nos adhérents, mais devons être en propositions et apporter la réponse adaptée à chaque professionnel. Par ailleurs, notre volonté est de mieux faire connaître l’ARPP et ses actions en trouvant le juste équilibre entre le faire savoir pour montrer son efficience et son utilité aux professionnels et au public, sans se mettre trop en avant, ce qui serait contraire à la philosophie du « droit souple ».   

Si vous deviez évoquer une campagne qui a attiré votre attention ?  

La campagne publicitaire les « dévendeurs » de l’Ademe (Agence de la transition écologique) qui incite les consommateurs à réfléchir sur leurs achats de produits neufs. Elle a suscité un débat où se sont exprimées des positions différentes entre la mise en valeur de certaines attitudes vertueuses écologiques non contestables, comme réparer un équipement, privilégier la seconde main, et la remise en cause de la consommation elle-même avec toutes les conséquences économiques que cela peut avoir, surtout dans le secteur textile.

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